ARTICLE 25 Philip Catherine

Le prince Philip du jazz

 

Philip Catherine est sans conteste l'un des plus grands jazzmen européens. Le guitariste belge s'est produit en trio le 16 mai 2025 à l'Espace Sorano à Vincennes. L'Autel des artistes de Paname a eu le privilège de le rencontrer auparavant chez lui à Bruxelles.

 Sur la scène de l'Espace Sorano, ce 16 mai, Philip Catherine est apparu auprès du public coiffé de sa casquette et de son éternel écharpe qui lui donnent un air d'artiste bohême. La soirée est introduite par Vincent Bessières, journaliste, commissaire d'exposition, programmateur de la saison jazz de la salle. Sur scène, Philip est accompagné  par deux valeurs sûres de la scène jazz belge avec lesquels il a réalisé l'album Côté jardin en 2012  , le contrebassiste Philippe Aerts et le pianiste Nicola Andrioli, originaire des Pouilles, en Italie. Leur musique, intimiste à souhait, fait merveille sur une composition de Nicola intitulée Mare di notte mais aussi sur une reprise de Georges Brassens Les amoureux des bancs publics que le public a repris à l'unisson ou encore sur Nuages de Django Reinhardt. Dans l'intervalle, Philip nous enchante avec ses compositions comme Misty cliffs, du nom d'un petit village en Afrique du sud que Philip a visité avec son ancien contrebassiste Hein van de Geyn, qui y vit désormais, ou le très mélodieux Dance for Victor.  À l'issue de ce moment privilégié suspendu, Philip a renconté Maxine Gordon, veuve de Dexter Gordon. Philip a enregistré un disque superbe avec ce saxophoniste étatsunien légendaire en 1975, Something different (Steeplechase), avec Niels-Henning Orsted-Pedersen, un formidable musicien avec lequel il a gravé plusieurs autres disques, à la contrebasse, et Billy Higgins à la batterie.

https://www.youtube.com/watch?v=CiLuG_PFsfI

Philip, le guitariste

Pour lever toute équivoque, il faut écrire Philip à l'anglaise et non Philippe comme le chanteur français originaire des Deux-Sèvres avec lequel on le confond souvent: Philippe Katerine avec un K. Philip Catherine s'amuse d'ailleurs de cette confusion à laquelle il est habitué, lors de ses intermèdes avec les spectateurs de l'Espace Sorano le 16 mai. Les deux hommes ont en commun un profond amour de la musique et un humour caustique. Ils ont même été réunis lors d'une émission de la Libre Belgique en 2024.

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https://www.youtube.com/watch?v=3hYxZP09Ark

Philip Catherine donc, est connu dans toute l'Europe comme un virtuose de la guitare jazz, sideman, entre autres pour Chet Baker, Toots Thielemans, Dexter Gordon, Vladimir Cosma (musiques de films), Maurane ou Charlie Mingus. Il est né le 27 octobre 1942 à Londres, d'une mère anglaise et d'un père belge. Résistant dans un réseau de renseignement, celui-ci sera absent du foyer familial pendant la Seconde Guerre mondiale. « Je crois que j'ai eu une très chouette enfance. », se souvient malgré tout Philip au micro de l'Autel des artistes du Paname. Après la fin de la guerre, son père Oscar est de retour au bercail. Il travaillera pour l'armée belge à la restitution des tableaux volés par les nazis. La famille Catherine vit un temps à Brême, en Allemagne. C'est là que le petit Philip découvre la musique à la radio.

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JEAN-LOUIS RASSINFOSSE / CHET BAKER / PHILIP CATHERINE

Son oreille se familiarise avec les choeurs de l'Armée rouge ou encore Frédéric Chopin qu'il entend en disque 78 tours... Plus tard, ce sera Georges Brassens dont il apprécie le côté « naïf et beau » des mélodies. Mais le déclic absolu pour Philip c'est la découverte en 1954 grâce à son professeur de musique, José Marly, de Django Reinhardt, « un autre Belge ».[1]  « J'ai été complètement séduit par la beauté des phrases de Django », nous dit-il. Très vite, à force de travail, Philip s'inscrit dans les pas de son aîné René Thomas et s'impose comme l'autre meilleur guitariste de jazz belge. À seize ans, il se produit au Comblains jazz festival. Deux ans plus tard, Philip fait ses premières armes avec l'organiste Lou Bennett, venu jouer au Blue Note à Bruxelles. Celui-ci distille un jazz groovy assez populaire dans les années 1960. Son disque Amen a fait forte impression sur le public. Philip avait ce disque dans sa collection et en apprenait les morceaux à l'oreille. Pour ce dernier, jouer avec Lou est une première étape vers la professionnalisation. « Lou Bennett devait venir avec le guitariste Jimmy Gourley et le batteur Kenny Clarke. Je ne sais pas pourquoi ils ne sont pas venus. Benoît Quersin, le patron du Blue Note de Bruxelles, m'a appelé au pied levé pour remplacer Gourley. C'était une grande surprise. » La seconde étape pour Philip vient le 25 novembre 1970 à l'issue de son service militaire. Le violoniste émérite Jean-Luc Ponty, qui a le vent en poupe, après sa collaboration avec Frank Zappa, a repéré le talent de Philip et lui a adressé une lettre pour lui demander de rejoindre son groupe: le Jean-Luc Ponty experience. C'est le début de la période avant-gardiste de Philip Catherine. Il signe sous son nom plusieurs albums Stream (1971), produit par Sacha Distel, September man (1974) et Guitars (1975) qui révèlent un compositeur surdoué, à l'écriture romantique, doublé d'un grand guitariste. Mais le clou de cette période est probablement sa collaboration avec le guitariste texan Larry Coryell sur Twin house (1977). Ce tandem improbable entre un Belge et un Américain aux styles complémentaires lancera la mode des réunions de guitaristes. Ce genre sera popularisé dans les années 1980 par le trio formé par le Britannique John McLaughlin, le guitariste de flamenco andalou Paco de Lucia et l'Américain Al Di Meola. C'est pendant cette décennie que Philip va accompagner Chet Baker par l'intermédiaire de l'agente Gaby Kleinschmidt. Il y aura un trio avec son compatriote le contrebassiste Jean-Louis Rassinfosse, dans un premier temps, puis avec l'Italien Riccardo del Fra. « Avec Chet, il n'y avait jamais une note de trop avec lui. C'est probablement l'expérience qui m'a le plus touché. » s'enthousiasme Philip. Il faut réécouter à cet égard le très lyrique How deep is the ocean pour se convaincre de la magie du trio trompette, guitare et contrebasse: https://www.youtube.com/watch?v=CRAkNsvIqj0

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 L'éternel Philip

Perfectionniste acharné, Philip a pu de son propre aveu « s'exercer pendant sept heures par jour sur la maîtrise de son instrument. ». La quintessence de l'art de Philip s'exprime au paroxysme de sa délicatesse et de sa sophistication avec Transparence (1986) Sur cet album conceptuel Philip signe la plupart des morceaux comme le délicieux L'éternel désir, au titre inspiré de Milan Kundera.

https://www.youtube.com/watch?v=9VCf2g0JnPE

Sur ce disque des pointures du jazz, Hein van de Geyn à la contrebasse, Michel Herr au synthétiseur, Diederik Wissels au piano et Aldo Romano à la batterie. Philip est aussi un Belge globe-trotteur. On a pu le remarquer aux côtés de la pianiste d'Azerbaïdjan Aziza Mustafa Sadeh, avec son vieux complice Toots Thielemans à l'harmonica, mais aussi dans le premier album du Congolais, musicien et dessinateur de BD Barly Baruti Ndungu yangu (1996) ou avec la chanteuse brésilienne Marcia Maria Passion (1994), un album produit par Éric Legnini. Philip s'est aussi épris de l'oeuvre du guitariste brésilien Guinga.

https://www.youtube.com/watch?v=ld3SNcR2-1I

Le maestro belge a fêté ses 75 ans de carrière à Flagey, une salle bruxelloise prestigieuse, en compagnie notamment de sa fille Isabelle au chant, du batteur Gerry Brown-avec qui il a enregistré dans les années 70 avec le bassiste John Lee-et de musiciens de la jeune génération belge, Nicolas Fiszman, Antoine Pierre et Nicola Andrioli. Depuis la disparition de Toots Thielemans en 2016 Philip est le doyen du jazz en Belgique. En février, il a participé aux côtés de Louis Winsberg à l'hommage à Sylvain Luc, virtuose trop tôt disparu, au Théâtre du Châtelet à Paris. Il continue de tourner comme récemment en Europe avec le contrebassiste allemand Martin Wind. Cet été Philip s'est produit aux festivals de jazz belges de Gand et de Dinant, en compagnie notamment de son protégé Nicolas Fiszman. Comme l'a écrit le poète Gilles Farcet, fan de la première heure de l'album Guitars de Philip et qui lui a dédié un poème « À Philip Catherine: « Le timbre unique de sa guitare se pose délicatement... Il n'y a plus que la musique. »

 

Pour aller plus loin:

http://www.philipcatherine.com/

https://www.facebook.com/groups/philipcatherineguitar/

 

Julien Le Gros

 [1]   Le guitariste tsigane est né le 23 janvier 1910 à Liberchies, dans la province de Hainaut.

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